Espèce d’accoutumance

Vent et tissus

Logée aux bordures d’une baie à l’eau turquoise, la jeune fille d’un pêcheur est prise d’admiration pour une mygale. Dans son village, tous les habitants pratiquent la pêche au harpon. Cette pratique traditionnelle est enseignée depuis des lustres aux générations. La coutume s’est accompagnée de l’excellence qui au fil des siècles, a fait naître des échanges commerciaux entre les localités voisines. La qualité d’un harpon n’est jugée que s’il avait été taillé de la main d’un héritier du village.

Le père de la jeune fille est un lanceur de harpon tout comme ses aïeux. Né dans un système matrilinéaire, il a naturellement dû quitter son clan familial pour rejoindre celui de son épouse. Doué d’intelligence, il a su combler son infériorité économique par son talent commercial. En effet, la renommée de sa famille dans sa qualité de sculpteur de harpon ne manque pas d’éloges. Concevant des harpons, tous plus équilibrés et précis que les générations précédentes, son clan familial s’est enrichi avec le temps.

Béni par Nount, il a hérité de deux magnifiques jeunes filles. L’aînée est tout aussi douée que son père dans le lancer et la sculpture d’harpon. Cependant, la cadette n’envisage pas son avenir tels ses prédécesseurs. Vive d’esprit, il est fréquent de la surprendre accroupie avec de l’encre et un papyrus à la main, annotant tous les comportements animaux intéressants. Cela fait quelques mois déjà que la jeune fille est prise d’admiration pour les araignées. Elle dit voir chez ces petites créatures une abondance d’enseignement à acquérir du fait de leur aptitude à la chasse. Cette capacité à tisser une toile faite de soie, puis à la tresser de sorte à obtenir un ensemble de connexions complexes est devenue à ses yeux une source d’aspiration.

Délaissant ses responsabilités et séjournant dans la forêt à observer les différentes techniques de tressage de toile, elle a attisé la colère de son père voyant dans son comportement un profond échec.

Il ne comprend pas sa fascination pour les araignées et interprète ses actions comme de la paresse ou encore une échappatoire aux corvées familiales. Il craint que son attitude finisse par dissuader les prétendants qui ne voudraient pas d’une vie aux côtés d’une femme négligeant ses responsabilités d’épouse. Alors, il lui rabâche jour après jour de suivre l’exemple parfait que représente l’aînée, qui est au cœur des discussions chez les autres familles. Celle-ci reçoit des propositions de mariage à la chaîne, offrant au clan familial un éventail d’options d’alliances commerciales. Il y a tant d’intérêts économiques et politiques que la fille cadette fuit à grande allure, se voulant libre d’agir, d’aimer, de penser, et se refusant une vie d’obligations conjugales.